Et j'ai su que ce trésor était pour moi by Jean-Marie Laclavetine

Et j'ai su que ce trésor était pour moi by Jean-Marie Laclavetine

Auteur:Jean-Marie Laclavetine [Laclavetine, Jean-Marie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature française
Amazon: B018U36EZI
Éditeur: Gallimard
Publié: 2016-01-01T23:00:00+00:00


15

Arrête de parler, Julia, tu me casses les oreilles. C’est ce que je te disais quand tu te taisais pendant trop longtemps, quand tu restais les yeux dans le vague, les yeux au plafond, les yeux dans ton bol de thé ou dans ton verre de vin, perdue dans des pensées dont j’étais jaloux. Tu me casses les oreilles. Alors tu tournais vers moi ton visage, oh ton visage. Chaque nuit, à l’hôpital, j’attends que le miracle se reproduise. Chaque nuit je me concentre, je te fixe intensément afin que la puissance irrésistible de mon appel te force à écarter les paupières. Tu ouvres les yeux, la blancheur du plafond t’éblouit, et très lentement tu tournes vers moi ton regard étonné. Tu es là. Fais-le, Julia, s’il te plaît, le moment est venu, je commence à fatiguer. Reviens.

Bon. Continue de faire semblant. Tu crois que je ne t’ai pas vue tressaillir ? Elles t’excitent, mes histoires, allons, ne nie pas. Elles te font frissonner, elles font passer en toi la haute tension du récit, je le sens, je le vois, qu’est-ce que tu crois, que je suis devenu aveugle et sourd ? Je sais de quoi je parle, c’est mon métier, l’électricité. Hier, pendant que je te racontais la cavale de Nora, quelque chose a bougé. Un frisson a couru le long de ton bras, une fois de plus je l’ai vu. Sur l’écran les courbes vertes se sont affolées lorsque le méchant mari a retrouvé sa voiture et sa femme, elles se sont hérissées comme le dos d’un chat furieux. Non ? Allez, Julia, avoue.

Ainsi naissaient nos romans, les quelques romans que nous avons vus éclore de notre vivant. Mes histoires ne sont que les échos de nos histoires. Elles venaient de partout, elles traversaient notre espace dans un crépitement de phrases. Il suffisait de les cueillir quand elles passaient à proximité, il y en avait tant, ce n’était pas difficile. Dans les journaux, dans la rue, dans les conversations, au bar, partout, des histoires qui fourmillent, qui s’offrent. On en attrape une, on la nourrit, on la laisse prospérer : par la grâce d’enchaînements hasardeux ou forcés, la plus chétive des anecdotes peut engendrer un roman-fleuve, une brève de trois lignes accouche de Madame Bovary. Inutile même d’aller chercher à l’extérieur, le magma de nos intimités recèle suffisamment de trésors bien violents et bien sales : pépites névrotiques exploitables jusqu’au trognon, cimetières aux dalles disjointes dont s’échappent des remugles entêtants et des cadavres intranquilles, chambres à coucher encore vibrantes de cris, de gémissements, de fausses promesses, d’illusions chavirantes et de débandades, la matière ne manque pas. Je ne suis pas allé chercher bien loin pour te régaler. Tous ces découplements ne sont que des échos du nôtre. Tu as bien vu combien l’histoire de Louise et Paul frôle notre histoire, comme cette femme te ressemble par certains traits et comme le jeune Paul évoque parfois le vieux Marc. Les rêves de Paul sont mon cadeau à ton sommeil.



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